. En vol

En vol 16h40 le moteur 3 tourne bientôt suivi du 2 : Concorde vit par lui même Ca vibre pas mal sous le plancher mais le bruit est plus limité que sur un avion de ligne classique alors qu'en 20C je suis assis entre les grandes orgues. Les démonstrations de sécurités sont écoutées dans un silence religieux et consciencieusement filmées par les possesseurs de camescopes.

16h44 avec une minute d'avance : repoussage. Le tracteur nous amène sur le taxiway. Petite pause le temps de démarrer les deux moteurs restants et ça roule. La comparaison sera à la limite de l'outrage mais le Concorde qui roule c'est comme le métro sur pneu. On est balancé à droite, à gauche, en haut et en bas. Etant côté couloir, je me penche dans l'allée et je vérifie de mes yeux qu'un Concorde c'est souple comme une canne à pêche. En regardant le toit ou le plancher de la cabine, on a l'impression que l'avant de l'avion ne veut pas aller dans le même sens que le reste. La cellule se déforme de droite et de gauche ainsi que dans la hauteur. Impressionnant.

Tout aussi impressionnant est l'arrêt des activités sur le passage de Concorde. Il fait réellement tourner les têtes. A droite en passant les taxiway parallèles il y a du monde qui prend des photos. Les patrouilles des militaires s'arrêtent pour suivre la bête des yeux. Un flyco nous suit avec le passager qui bouffe de la pellicule. Les visages se tournent vers Concorde comme les tournesols vers le soleil. Grand !

16h55 on est aligné. On n'a pas eu le temps de s'en rendre compte que la piste est devant nous. Le ciel nous attend. A partir de ce point, il devient difficile de trouver les bons mots. On rentre dans un domaine tout en sensations inconnues. Le timing reste précis jusqu'à la procédure anti-bruit. Le reste est très vague (je ne sais plus à quel moment le service à commencé). On nous l'avait annoncé : vous perdrez tous vos repères. C'était vrai !

Les manettes de gaz partent en avant, le moteurs rugissent. En cabine le son reste assez limité en comparaison de ce que vivent les spectateurs au sol mais il est nettement plus présent que sur les avions de ligne classique. La sonorité toute particulière de l'Olympus nous parvient haut et clair.

La poussée achève de nous installer au fond de sièges. C'est démoniaque : ça pousse et ça pousse toujours. Ca va bien finir par s'arrêter ? Eh bien non ! Ca continue encore et encore, à croire que cette puissance est sans fin.

La rotation vient encore ajouter sa pression à celle de la poussée. On quitte le sol. Aussitôt le plancher de la cabine vibre, on sent des coups sous les pieds, le train principal (juste en dessous de cette rangée) est vérrouillé dans son logement et la poussée continue toujours aussi vive. Si l'on ne regarde pas par le hublot, on pourrait croire que l'avion réalise une chandelle tant on est poussé vers l'arrière.

16h55:50 Je flotte ! Les quatres réchauffes viennent d'être coupées ensemble et les gazs réduits. Sans la ceinture je crois bien que l'on se retrouverait assis sur le bord du siège. Tonnerre d'applaudissements et il y a de quoi : nous venons de vivre un concert dans un grand huit ! Tout le monde se regarde, cette petite séance était un vrai moment de bonheur. Le mythe est réellement en marche.

Malgré cette impression nous n'avons pas perdu en vitesse. Nous continuons même à accélérer. La procédure anti-bruit terminée et l'altitude un peu gagnée, les manettes sont repoussées à fond. Comment je le sais ? Le dossier s'est simplement rapproché de mon dos de lui même ;-)

Je jette un oeil au machmêtre : 0.54 et ça monte au rythme de 0.01 mach en deux à trois secondes. Nous sommes rapidement à 0.84 : la vitesse d'un avion classique et le compteur continue de tourner.

A table ! Les tablettes sont dépliées puis les hotesses et les stewards installent les nappes. Grande classe. Ils commencent ensuite leur séance de varap. L'avion est encore très incliné et les chariots sont tractés par une hotesse aidée à la poussée par une autre. Cette fois on déroge à la règle, nous aurons des plateaux. Les hotesses nous apprennent en effet que, sur les vols de ligne, le service se fait comme au restaurant avec changement d'assiette et de couverts entre les plats. Le temps étant compté sur ce vol ce service n'était pas possible (tu m'étonnes !) Le service commence donc et le chef de cabine nous annonce le passage imminent du mach. Nous sommes en effet déjà au dessus de la Manche. Nous avons mis 12 minutes depuis le décollage pour atteindre Le Havre.

Les yeux se tournent vers le machmêtre, les réchauffes sont relancées deux par deux ce qui ne passe pas inaperçu. 0.96 , 0.97, 0.98, 0.99, ça se stabilise puis après un long moment d'angoisse, le doigt prêt à faire la photo (que je vais d'ailleurs rater faute d'avoir désactivé le flash), le chiffre pour lequel nous sommes tous là : 1.00. Là encore tonnerre d'applaudissements sous l'oeil ravi de l'équipage qui continuait le service.

On y est
Service à la vitesse du son

Fabuleux : nous avons sorti tout cet argent, nous avons attendus ce moment des jours, des semaines, des mois, nous sommes passé pour de graves détraqués auprès de ceux qui ne pouvaient pas nous comprendre, nous avons mal dormi la nuit précédente et tout cela pour ... RIEN ! Eh oui, je l'ai vu de mes yeux (et j'en suis ravi) à mach 1.00 dans Concorde il ne se passe rien ! C'est une arnaque, n'y allez pas ;-)

Le triomphe de Concorde est bien là, ce rien est la preuve tangible de la redoutable efficacité de la bête, du génie de ses concepteurs, de la justesse de leurs théories et de leurs calculs, de la réussite totale de la mise au point par les équipes d'essai, de la maitrise totale des équipages d'Air France. Attention, n'en déduisez pas que Concorde n'est rien, nous serions fachés.

La vitesse monte encore sous l'effet des réchauffes maintenant nécessaires pour se maintenir dans le régime transonique. Pendant que les chiffres toujours plus fous s'affichent sur le machmêtre, nous dégustons le homard accompagné de ses crudités et de son médaillon de foie gras. Nous enchaînons sur le fromage et le succès au café. Je fait une entorse à mes habitudes de buveurs d'eau et arrose le tout au champagne. Maintenant que nous sommes là...

Mach 1.70 approche et on nous annonce l'extinction prochaine des réchauffes ce qui est fait deux par deux avec la petite avancée dans le siège, Concorde communique avec nous. Sans les annonces nous saurions tout de même où en est le vol. La encore les chiffres montent sans difficulté.

Mach 2.00 nous y sommes et toujours rien hormis la troisième ovation des passagers depuis le décollage. 600 m/secondes : trop facile ! Au fur et à mesure des fluctuations nous prendrons un joli 2.04. A ce moment les seuls humains au dessus de nous sont dans la station spaciale internationale. Que dire de plus ...

Mach 2.02
espace -2km

Le repas continue, une main sur le hublot qui est maintenant bien tiède et puis coup de frein. Déjà la descente. Que le temps a passé vite

Le dessert est avalé et nous profitons de quelques secondes (le mot seconde a son importance) pour échanger quelques impressions avec les hotesses. Elles ont refusé de passer chef de cabine sur une horreur de 747 ou un trainard de 340 (il y en aura eu pour tout le monde). Comme je les comprends.

La tablette est repliée et peu de temps après Michel Thorigny arrive, la visite du poste promise c'est maintenant et comme annoncé lors du repas de midi : faut pas trainer pour que tout le monde puisse y aller. On remonte donc l'allée en croisant ceux qui redescendent. Arrivés vers l'avant on nous fait signe de passer dans le recoin de la porte avant gauche. Deux personnes passent au poste et nous prenons leur place en face devant la porte avant droite. C'est à nous. Ce poste je le connais plutôt bien en photo, en vidéo, sur Flight Simulator, mais je n'avais pas réalisé à quel point il était petit. Le fuselage qui n'est déjà par large se resserre encore à l'avant et le panneau de l'OMN prend une place inouïe. Nous sommes à ce moment à mach 0.95 et 32500 pieds. La pointe de l'avion est retombée à -15°C. On me tape sur l'épaule : il faut laisser la place aux suivants. Nous redescendons l'allée en direction de nos places et nous en profitons sur les recommandations de l'organisateur pour échanger nos sièges. Me voilà en 20D, collé au hublot.

La descente se poursuit. Nous survolons Chantilly quand le dernier passager rejoint le siège 28D. Quelques secondes plus tard le train est sorti et se vérouille avec fracas.

On part en virage par la droite pour revenir dans l'axe des pistes. Le machmêtre chute pendant que Concorde se cabre. On passe sous les nuages et le sol se rapproche. On cabre et on réduit encore. La piste est très vite là, on passe le seuil à 0.34.

18h35 Les roues reprennent contact avec le sol. Le touche n'est pas franc mais en voyant la vidéo, j'ai compris pourquoi : nous avons légèrement rebondi. Le nez descend, l'horizon est de nouveau dans l'axe des ailes et tout explose : les reverses sont passées. Un bruit du diable ! On est tirés en avant, retenus par les ceintures. Dehors le défilement du paysage ralenti à vitesse grand V. Ca, c'est du freinage ! La vitesse est maitrisée, les reverses coupées et nouvelle ovation.

Nous dégageons la piste par la gauche. Au passage des parallèles, le commandant nous arrête pour un petit coup de nez à destination des Concorde lovers présents sur la gauche. D'habitude je suis de l'autre côté du grillage. Ca fait vraiment plaisir d'être dedans.

Bientôt le sol
Piste dégagée
Concorde Lovers
Retour à la porte





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